L'histoire du Château

« 1540, ce 22ème Avril.
Antoine par la grâce de Dieu, Duc de Lorraine et de Bar, marquis du Pont, comte de Provence et de Vaudémont… Nous avons reçu l’humble supplication de Messire Pierre de Haraucourt chevalier, seigneur de Parroye, contenant qu’il fait bâtir au lieu de Girecourt, en notre baillage des Vosges une sienne maison, et que craignant que notre Procureur général de lorraine présent et advenir ne lui donne empêchement, nous a supplié très humblement comme Prince souverain, lui vouloir permettre le parachèvement d’icelle. Savoir faisons que pour les agréables services que dès longtemps il nous a fait et que nous espérons il fera à l’avenir, de grâce espéciale lui avons permis et permettons, comme Prince souverain, ledit achèvement, agréant de notre même grâce ce que déjà il en a fait, qui pourra être à l’aide, force et conservation de notre pays.
Nous demandons à tous nos maréchaux, sénéchaux, baillis, résidents, gens de nos comptes, Procureur général de Lorraine, particuliers et tous officiers, justiciers, hommes et sujets qu’il appartiendra, de ne lui donner aucun empêchement ».
Ainsi donc, par décision princière, le Château de Girecourt allait être achevé. Probablement construit sur les restes d’une maison d’un certain Philippin de Girecourt attesté en 1355, il ressemblait alors très peu à son état actuel. Il s’agissait d’une maison forte quadrangulaire, cantonnée de 4 grosses tours rondes, dont vous pouvez encore distinguer les bases qui mordent les 4 angles des douves.

Vue satellite du château

De cette époque subsistent 2 cheminées monumentales, 2 escaliers en colimaçon, un portail très endommagé lors des travaux du XIXème siècle mais venant d’être restauré, 3 plafonds Renaissance à caissons finement sculptés d’un motif de corde comptant parmi les plus beaux de Lorraine.

L'une des Cheminées Monumentales Le portail L'un des escaliers en colimaçon Poutre d'un plafond à caissons

Pierre de Haraucourt vivra peu ici car né en 1514, il meut en 1546, laissant en usufruit le Château à Françoise de Stainville, sa seconde épouse.
Son fils Antoine, lègue le domaine en 1603 à son neveu Théodore II et en 1623, la propriété revient à Antoine de Lenoncourt, Primat de Nancy, appartenant lui aussi aux 4 Grands Chevaux de Lorraine.
Par tradition, on dénommait ainsi les 4 plus vieilles maisons remontant à l’ancienne chevalerie et dont les chefs se tenaient aux 4 coins de dais sous lequel trônait le Duc lors des cérémonies officielles. Outre les Haraucourt et les Lenoncourt, on trouvait également les Lignéville et les Châtelet.

Armoiries de la Famille Haraucourt Armoiries de la Famille Lenoncourt

Pâques 1639. La guerre de 30 ans fait rage et des suédois parviennent devant Girecourt. Ils débutent un siège dont l’issue est incertaine.
Le maître des lieux est alors Pierre de la Porte de Saint Julien, époux de Françoise de Mercy. Ils auront deux fils Pierre et Louis qui seront baptisés en 1645 et 1646 dans la chapelle du Château dont une magnifique fenêtre ogivale a été découverte il y a quelques années.

La fenêtre ogivale

Bailli et gouverneur d’Epinal, Pierre de la porte est colonel de cavalerie. Il commande 120 mousquetaires à cheval sur ordre du Duc Charles IV. Ils défendront le château protégé par ses douves qui représentaient alors le premier obstacle défensif de la forteresse. Longtemps envasées et partiellement comblées, elles sont à nouveau en eau depuis l’an 2000.

Né en 1663, Jean François était le fils de François Humbert, écuyer, seigneur de Hémaménil et de Bures, brigadier de la noblesse de Vöge, et de Georgette Baradel, fille de Toussaint Baradel, capitaine au service de la France puis de Charles IV.

Jean-François Humbert

Après des études de droit à Pont à Mousson, il est reçu Avocat au Parlement de Metz le 13 Avril 1684. Il devient conseiller au baillage d’Epinal le 3 décembre 1685. Seigneur de Faucompierre, de la châtellenie de Vaubexy, des bans de Vaudicourt, Dompierre et autres lieux, il est nommé commissaire par le Duc Léopold en 1701, afin de répertorier les mines d’argent de Lorraine. Il devient en 1707 grand-maître des eaux et forêts au département des Vosges. Conseiller-secrétaire d’état des ducs Léopold I (1690-1729) puis François III (1729-1737 + en 1765), il est fait chef du conseil des finances. Il prend possession de la terre de Girecourt en 1705. Le 3 décembre de la même année, il est autorisé par lettres patentes du Duc Léopold, d’y exercer la haute justice et d’y faire ériger un signe patibulaire, prison et carcan, contre l’abandon de 3 réseaux de seigle et 6 d’avoine.
Chevalier, il devient baron de Girecourt sur décision du Duc de Lorraine le 10 décembre 1722. Les lettres patentes de Léopold 1er érigent la terre en baronnie et confèrent le titre de Baron de Girecourt à tous ses possesseurs ultérieurs. Jean-François est finalement créé comte de Girecourt le 18 juin 1737. A cette époque il s’agit toujours d’un château-fort entouré de fossés et d’une muraille flanquée de 12 tours, basse-cour et jardin, au village ban et finage dudit Girecourt, séparé en 2 parties par le ruisseau d’Urbion. Son ancêtre Nicolas Humbert avait été anobli par le duc Charles III en 1573 avec pour armoiries : une porte d’or au chevron d’azur, accompagnée de trois pattes de lion coupées de sable, armées de même, deux en chef affrontées, et une en pointe ; et pour cimier une patte de l’écu, entre deux ailes dragonnées d’or, d’azur et de sable.
Ce sont les armes, ainsi que celles de sa seconde épouse que vous pouvez admirer au fronton de cette superbe grille en fer forgé attribuée à Jean Lamour.

Les Armoiries

Il avait épousé en première noce Marguerite Gauthier de Vienville dont était née Marie-Catherine Humbert, qui devint le 19 avril 1712 la 3ème femme de Charles de Hourières, comte de Viermes, seigneur de Domèvre, Chambellan de Son Altesse Royale et capitaine de ses gardes.
En secondes noces, Jean-François épouse Suzanne-Raymonde le Roy, baronne de Seraucourt, dont il a Joseph-Georges et Dieudonné-Gabriel Humbert, chevalier , reçu dans la compagnie des cadets-gentilshommes du roi de Pologne le 24 mars 1748, puis officier dans le régiment du roi infanterie.
Il a également une fille, Marguerite-Suzanne, dame de l’ordre impérial et royal de la Croix étoilée, qui se marie avec Charles-Dieudonné, Comte de Bourcier de Villers, Baron D’Amermont, par contrat passé à Nancy le 18 janvier 1757.
C’est ainsi que le château de Girecourt passe au XVIIIème siècle dans la famille de Bourcier qui le détiendra jusqu’en 1922.
Principal personnage ayant été maître de Girecourt, Jean-François Humbert s’éteindra à Nancy le 9 juin 1754, à l’âge vénérable pour l’époque de 91 ans.
Sa troisième épouse Marguerite-Sébastienne lui survivra et mourra à Bruyères le 17 décembre 1768, âgée de 100 ans, 10 mois et 20 jours.

Ce 7 frimaire an III, par ordre de la Convention, la propriété dite « le château de Girecourt » est confisquée à la citoyenne Marguerite Suzanne Humbert, pour punition de toutes les vilenies dont elle et ses ancêtres se sont rendus coupables dans les siècles passés. Les habitants ne doivent plus désormais battre l’eau des douves pour empêcher les grenouilles de coasser à la période des amours. Le citoyen Bouillot est chargé de détruire tous les insignes rappelant la féodalité, la royauté et leurs tyrannies. Combien de trésors ont été vandalisés et combien de témoignages de l’ancienne France ont à cette époque définitivement disparu ?
La tour de Crillon, dont vous avez peut être déjà remarqué la silhouette au fond du parc, le long de la route menant à Bruyères, fait partie de ces victimes. Elle fut érigée vers 1782 par le Comte de Girecourt, en l’honneur de son cousin Louis des Balbes de Berton de Quiers, Duc de Crillon et de Mahon, fait Grand d’Espagne par Charles III. Il voulait ainsi commémorer le victoire du Duc qui venait de prendre la citadelle de Mahon, sur l’île de Minorque aux mains des Anglais depuis le traité d’Utrecht.
On dit que rappelant une bataille navale, cette tour était surmontée d’un trois-mâts, détruit par les révolutionnaires qui ont également rendu illisibles toutes les inscriptions relatant cette histoire et vantant les mérites de Crillon. Le 6 Vendémiaire an IV, le citoyen Collet achète pour la somme de 100.100 livres le Château de Girecourt. Il s’agit en fait d’un prête-nom, agissant pour le compte de la famille de Bourcier de Villers dont Charles Dieudonné avait épousé Marguerite Suzanne de Girecourt. La maison rentre alors dans la famille de grands propriétaires terriens, possédant des centaines d’hectares forestiers, des hôtels particuliers à Nancy et à Paris. Les Bourcier se sépareront du château à la fin de la première guerre mondiale, ne souhaitant plus demeurer dans l’est de la France en raison des attaches familiales de la dernière comtesse née Starck, d’origine autrichienne et cousine du ministre de la guerre.

Le Comte Bousier de Villers Le château en 1905

Aux premières heures du XXIème siècle, Girecourt est devenu Berceau de l’œuvre universel du temps. Ce tableau concept imaginé par Astier, est le dernier tableau achevé dans les ultimes secondes du deuxième millénaire. Constitué de 2000 feuilles d’or numérotées, et surmontées des symboles chromosomiques de la femme XX et de l’homme XY, il représente la traversée par l’humanité de ces 2000 ans d’Histoire. Il se veut également le trait d’union entre toutes les nations et tous les peuples de la terre, par l’intermédiaire des 2000 laps numérotés, diffusés pour l’instant dans une cinquantaine de pays qui ornent les lieux aussi prestigieux que le musée du Vatican, la villa Médicis, l’ONU, l’Elysée ou le Ground-Zero à New-York. Clin d’œil du destin ou signe d’encouragement d’un grand architecte, la charpente du château a la caractéristique d’être composée d’une double superposition de croix de Saint André ayant la forme d’un X. Mais partout, sauf au-dessus de la galerie, où sans qu’on sache pourquoi, quelqu’un a coupé il y a très longtemps la patte inférieure droite d’une croix, transformant un X en Y…

Tableau d'Astier

Les travaux de restauration, depuis plus de 20 ans ont permis de sauver Girecourt et l’étude minutieuse du bâtiment a révélé de nombreuses splendeurs, masquées par des agencements discutables réalisés au XIXème siècle. La galerie vitrée remonte à cette époque, mais érigée en dépit des règles de l’art, elle menaçait de s’effondrer. Il devenait urgent de réagir et deux possibilité pouvaient être envisagées, refaire à l’identique une structure non fonctionnelle très sombre et et insalubre, ou garder le concept de galerie vitrée, mais supprimer le plancher du premier étage, dégageant ainsi une façade de XVIème siècle, intégrée dans un design résolument contemporain.

L'ancienne galerie vitrée

Un monument Historique doit évoluer s’il ne veut disparaître et, en partenariat avec la direction régionale des affaires culturelles et avec le service départemental de l’architecture et du patrimoine, c’est cette seconde solution qui a été retenue. Elle ancre désormais le Château de Girecourt dans le XXIème siècle, garante de sa modernité, mais fidèle à son histoire et à son âme. Elle est le symbole de l’orientation culturelle du site, ami de l’art sous toutes ses formes, terre inspirée où viennent méditer et créer petits et grands, beauté romantique qu’il nous a été donné de protéger et de transmettre à la postérité.
Thierry Courtalon.